La liberté des uns commence là ou s'arrête celle des autres:
LA LIBERTÉ D' EXPRESSION AU REGARD DU DROIT
La liberté d'expression est consubstantielle à la démocratie et celle-ci est précieuse car elle a toujours été conquise de haute lutte.
Néanmoins, la liberté, en général, et la liberté d'expression, en particulier, n'ont jamais été sans limites. En effet, au commencement, il y a le "Pacte originel" par lequel des individus entendent échapper à la loi de la jungle en se regroupant pour assurer de façon plus efficace leur sécurité, au prix d'une renonciation à une partie de leur liberté. C'est l'émergence de la notion d' "intérêt général". La démocratie est donc caractérisée par la recherche permanente d'un équilibre - toujours fragile - entre les intérêts des individus et la sauvegarde de la société.
C'est ainsi que l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 proclame: "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".
L'article 4 de cette même Déclaration précise que la loi établit des "bornes" à la liberté.
La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 affirme:"tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit à ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit".
L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) va dans le même sens: "toute personne a droit à la liberté d'expression et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières".
Le Conseil constitutionnel a rappelé en 1994 que "la liberté d'expression est une liberté fondamentale d'autant plus précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés".
Cette liberté d'expression ne va pas sans de nombreuses restrictions.
Selon l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966, elle peut "être soumise à certaines restrictions, qui doivent toujours être prescrites par la loi et être nécessaires".
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) reconnaît aux États le droit de restreindre cette liberté pour des raisons d'intérêt public, de protection de la réputation ou des droits d'autrui, de protection de la présomption d'innocence".
Les lois françaises, elles aussi, limitent la liberté d'expression lorsqu'il y a diffamation, injure, provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, apologie de crime contre l'humanité, négation ou banalisation de ces crimes. La loi du 18 mars 2003 établit le délit d'outrage à l'hymne national ou au drapeau tricolore.
La loi sur la presse de 1881 sanctionne la provocation à la discrimination, à la haine, à la violence ou à l'injure à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. La loi du 30 décembre 2004 y ajoute les propos liés au sexe, à l'orientation sexuelle ou au handicap. La "loi Gayssot" du 13 juillet 1990 punit la "contestation de crime contre l'humanité". Dans ce domaine, la Cour de cassation va encore plus loin dans son arrêt du 29 janvier 1998, en considérant qu'il y a matière à poursuivre en cas de présentation "dubitative " ou "insinuante" de crimes contre l'humanité.
Ces nombreux exemples ne constituent pas une liste exhaustive des cas de limitation de la liberté d'expression. Mais dans une démocratie, c'est le droit qui est seul décisionnaire, en particulier la loi dont la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dit qu'elle est "l'expression de la volonté générale". Mais cette définition est-elle conforme à la réalité? Cette question est légitime car on a de plus en plus souvent l'impression que la loi est plutôt l'expression de la volonté de minorités constituées en lobbys suffisamment puissants pour obtenir du législateur la protection de leurs intérêts ou de leur "sensibilité"…
Si on approfondit la réflexion sur la liberté d'expression en quittant le domaine des Conventions internationales et celui du droit national, on se rend compte que les restrictions les plus nombreuses à la liberté d'expression sont celles que nous nous imposons afin de rendre la vie possible avec les autres tant dans nos relations professionnelles que dans la sphère privée..
Seul l'enfant peut dire : "le roi est nu! ".
Mustapha Benchenane
- Docteur d’état en science politique
- Conférencier au Collège de Défense de l'OTAN
- Conférencier à l'Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice
(INHESJ).